domingo, 17 de noviembre de 2013

Jacques Attali: l´économie positive

Restaurer la priorité au long terme
Le règne de l’urgence caractérise l’économie actuelle et
domine la société dans son ensemble. Or, sans la prise en
compte du long terme, la vie de nos contemporains deviendra
un enfer.
L’économie positive vise à réorienter le capitalisme vers la
prise en compte des enjeux du long terme. L’altruisme envers
les générations futures y est un moteur plus puissant que l’individualisme
animant aujourd’hui l’économie de marché.
Beaucoup d’initiatives positives existent déjà, de l’entrepreneuriat
social à l’investissement socialement responsable, en
passant par la responsabilité sociale des entreprises ou encore
le commerce équitable et l’action de l’essentiel des services
publics. Elles demeurent toutefois encore trop anecdotiques :
l’économie positive suppose, pour réussir, un changement
d’échelle.
La crise actuelle s’explique justement très largement par le
caractère non positif de l’économie de marché : la domination du
court terme a envahi toutes ses sphères, et en premier lieu la
finance. Alors qu’elle avait pourtant comme fonction d’origine
terme (investissements), sa mission initiale a été largement
dévoyée dans de nombreux pays avec le mouvement de dérégulation,
de désintermédiation et d’informatisation amorcé il y a
une trentaine d’années. La finance est ainsi devenue un secteur
à part entière, en partie déconnecté du reste de l’économie, et
voulant trop souvent le dominer plutôt que le servir.
La dictature de l’urgence s’est ainsi répandue à toute l’économie
: les entreprises sont devenues l’outil qui doit générer un
rendement financier immédiat pour des actionnaires de plus en
plus exigeants, de plus en plus volatils et éphémères, en occultant
les autres parties prenantes de l’entreprise. Cette évolution
a fait perdre aux dirigeants d’entreprise la marge de manoeuvre
nécessaire pour construire un projet sur le long terme.
Au-delà de l’aspect purement économique, la crise est devenue
sociale et morale. Les inégalités engendrées par le système
ont conduit une majorité d’individus, poussés par le système
financier à vivre à crédit pour ne pas être exclus de la société
de consommation ; et beaucoup d’entre eux, surendettés, se
trouvent dans des situations dramatiques.
Si le système économique actuel n’est pas réorienté vers la
prise en compte du long terme, il sera impossible de relever les
défis, écologiques, technologiques, sociaux, politiques ou spirituels,
qui attendent le monde d’ici 2030. Des phénomènes irréversibles
auront été enclenchés, et le monde courra vers un
désordre propice au déréglement climatique, aux faillites d’États
et au développement de l’économie illégale et criminelle.
Un passage à une économie plus positive pourra aider à
résoudre la crise et à éviter ces désastres. L’un des prérequis est
de bâtir un capitalisme patient, à travers une finance positive,
qui retrouve son rôle de support de l’économie réelle. Plus
généralement, l’économie positive créera de la croissance, des
richesses et des emplois de haut niveau. De nombreuses études
démontrent que les entreprises aujourd’hui positives ne sont
pas moins efficaces et rentables que d’autres : au contraire, placer
le long terme au coeur de leur stratégie assure leur pérennité.
La transformation du système économique contemporain
en une économie plus positive créerait une dynamique susceptible
en particulier de sortir la France de la situation atone qui
nourrit l’impression actuelle d’enlisement sans fin.
Pour accomplir ce changement de paradigme, l’une des
conditions nécessaires est de pouvoir évaluer les progrès
accomplis ainsi que ceux qu’il reste à faire. C’est pourquoi le
présent rapport propose d’utiliser deux indicateurs nouveaux,
créés pour l’occasion : l’indicateur de positivité de l’économie
et le « Ease of Doing Positive Economy Index ».
L’indice de positivité de l’économie d’un pays a été construit
par ce groupe pour établir une photographie du degré actuel
de positivité de l’économie d’un pays. L’actualisation annuelle
de cet indicateur pourra permettre d’en suivre les progrès. La
croissance du PIB fait partie des 29 indicateurs qui constituent
cet indice. La France se classe aujourd’hui 19e parmi les 34 pays
de l’OCDE : cinquième puissance économique mondiale, elle
devrait au moins tenir ce même rang dans les classements relatifs
à l’économie positive.
En outre, l’économie positive ne pourra véritablement advenir
que si un pays adopte les réformes structurelles nécessaires
pour créer un environnement (réglementaire, fiscal) plus favorable
à son développement : cette volonté d’un pays d’aller vers
une économie plus positive est mesurée par un deuxième indicateur,
construit également spécifiquement à l’occasion du présent
rapport, le « Ease of Doing Positive Economy Index ».
Ces deux instruments de mesure créés, il nous faut désormais
agir. Vite. Fort. Le présent rapport met ainsi en avant
45 propositions destinées à faire advenir une économie plus
positive. Elles sont de deux types : des recommandations axées
spécifiquement sur l’économie et d’autres centrées sur la création
d’une société positive. Les propositions visent à ne plus
l’influence sur la stratégie de l’entreprise de ses multiples parties
prenantes devra donc être rééquilibrée en ce sens (proposition
n° 17).
Parmi les autres propositions piliers, certaines ont trait au
financement : la création d’un Fonds mondial d’économie positive
pourrait être proposée par la France au G8 ou G20 (proposition
n° 8). Cela suppose aussi de repenser l’architecture de
notre fiscalité autour des externalités positives ou négatives,
afin de valoriser ou de défavoriser certains comportements
(proposition n° 24).
Des réformes institutionnelles s’imposent également : le long
terme doit s’ancrer dans notre droit. Au niveau national, une
instance dédiée à la prise en compte des intérêts des générations
futures, qui pourrait s’appeler le Conseil du long terme,
pourrait être créée en France à partir de l’actuel Conseil économique,
social et environnemental (proposition n° 35). L’institutionnalisation
du long terme doit également trouver une
traduction internationale : il est proposé d’oeuvrer pour l’adoption
d’un grand texte international sur les responsabilités
universelles, définissant les devoirs des générations présentes
à l’égard des générations futures (proposition n° 37), ainsi que
pour la création d’un tribunal mondial de l’environnement
(proposition n° 38).
Enfin, l’éducation est essentielle pour former des citoyens
altruistes, écoresponsables, sensibles à la prise en compte de
l’intérêt des générations futures (proposition n° 29).
Dix autres propositions sont applicables rapidement, afin
d’enclencher la dynamique de l’économie positive dans les
douze prochains mois. Elles se répartissent en plusieurs catégories
: celles qui concernent au premier chef les entreprises
(intégrer l’innovation sociale dans le crédit impôt-recherche ; lancer
un programme d’identification et de structuration de pôles
territoriaux de coopération positive ; cartographier les politiques
qui permettent une responsabilité élargie des producteurs),
celles qui s’adressent aux consommateurs (rendre obligatoire
l’affichage positif pour permettre un choix éclairé des consommateurs)
; celles qui donnent un rôle clé à jouer à l’État en tant
que composante de la demande (agir par la commande
publique ; mettre en place les contrats de performance environnementale
et sociale en lieu et place des partenariats publicprivé)
; celles relatives à la finance (renforcer les possibilités de
financement participatif ; maîtriser le trading à haute fréquence) ;
enfin, celles qui visent à parier sur les secteurs d’avenir (démarrer
la transition énergétique ; s’engager dans le numérique).

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